Voix pour une autre école

Grévistes de l’Éducation en Seine-Saint-Denis – 2024

La force de (ne pas) dormir – Guillaume Gesvret

…l’épanchement du songe dans la vie réelle. 

Nerval

Il y a des choses insupportables ou difficilement supportables, et qui sont supportées quand même. Le sommeil des élèves en classe est difficilement supportable par exemple. 

Dormir à poings fermés, d’un sommeil vraiment complet, profond, c’est du jamais vu entend-on souvent. Même dans les quartiers, il n’y a pas si longtemps encore : de l’inimaginable.

Des siestes en classe, qui échappent à la mesure et à toute enquête possible. 

Peut-être qu’on pourrait valoriser ça, cette puissance d’insoupçonnabilité ? 

Même pas. 

Rien qu’une déroute à tous les étages et en particulier de l’attention. 

Faillite de l’attention, c’est le moins qu’on puisse dire. Et qui peut le moins, peut le beaucoup plus…


Grève de l’attention

Dormir permet de fuir le cours, l’espace, le temps, la fatigue du dehors, et tout ce qu’on voudra mettre ici. 

Qu’en faire ?

Rien d’abord. Puis rien encore. C’est long à venir, souvent trop long, ce qu’on peut faire d’effractions pareilles. Tiens, un ronflement de plus.

Je pense à la Force de dormir dont parle Pierre Pachet chez quelques écrivains connus. 

Ici : risque d’esthétisation sur le dos de ceux qui sont si largués le reste du temps qu’ils préfèrent se larguer eux-mêmes le temps d’un roupillon – qu’on leur jalouse, quelque part, loin sous l’autorité qui, cette fois-là, n’étaye plus grand-chose, ne pèse plus rien – croit-on.

Ce sommeil (si on fait semblant de le généraliser un peu pour essayer de le faire parler quand même) est un comble : le comble du hors-sujet comme évasion sur place. 

Quelque chose a lieu sous le couvre-chef, dans le chef, s’élabore. 

Le regard pensif par la fenêtre, c’était trop léger, romantique. Il fallait faire pire : dormir carrément. 

Ça dit quoi ? alors. 

Comme on dit Comment ça va ? mais pas seulement pour la forme (fonction phatique du langage) mais parce qu’on attend une réponse de l’autre, et même un échange. Voire un travail d’écriture collectif si la réponse tarde à venir, entre deux sursauts empêtrés dans la nuit qui continue, revient.

Cadavres-exquis par groupes de 3


On commencera quelques temps après le sommeil, et même sans y penser, à leur faire écrire des cadavres-exquis. Pour leur faire croire, avant de se contredire, qu’on peut expliquer le fonctionnement du rêve. Où s’enchaînent (s’imprègnent, infusent, interfèrent) des échelles de temps et d’espace si différentes que leur intrication arbitraire risquerait quoi ?…

…quel sursaut d’attention à l’écoute après-coup d’un boulot sans effort sur la valeur des temps (au lieu de parler de la valeur du Temps, ce sera pour une autre fois, tant elle se retourne sans arrêt et se perd, cette valeur, se retrouve et s’emporte, et crée même du possible avec l’apocalypse)

« Les déchets et la pollution étaient sur la Terre lorsque le châtiment arriva : la Nature est toujours vivante. »

…risquerait de se fluidifier, de prendre sens comme une rivière prend la forme du lit qui la porte, là où ça coule mieux d’un coup, créé par-là-même un effet comique (pourquoi rire si ce n’est pour saluer cette soudaine circulation d’énigme dans une commune circonspection) quand une amorce de sens (ou bien est-ce notre désir de le trouver, vu de l’extérieur, qui nous fait rire) s’articule et s’avance, affleure et pousse, résurge comme une source inépuisable, même sur place, plus besoin de cours d’eau, à peine un cours, à peine un sens articulé et qui affleure quand même : conte gothique, écologique, métaphysique, anti-scolaire… peu importe. 

On ne commentera rien, ça gâcherait tout :

« Il y avait des serpents dans le cimetière, lorsque tout à coup M. Gesvret dansa : l’école devient obligatoire. »

Cadavre-exquis pour un nouveau programme : remplacer les cimetières par des écoles de danse. 

Toute sieste est devenue inutile